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Quel bonhomme !

mardi 13 octobre 2009, par Stéphane

« Le 15 mai 2008, celui que dans le livre j’appelle BW perd brutalement l’usage de ses yeux ». Lydie Salvayre.

Alors, il y a urgence.

« S’il boit, c’est trop. S’il rompt, c’est à jamais. S’il souffre, c’est à mort. S’il aime, c’est corps et âme ». Dès le début on a un petit aperçu du personnage et on comprend qui l’on va côtoyer durant quelques 200 pages. Un peu plus loin, en avançant dans le texte, en devenant plus intime. « BW redoute la honte par-dessus tout. Être la risée : sa hantise. Ne pas attirer l’attention : son précepte. Disparaître : sa stratégie ».

Je ne connaissais pas cet homme -au tempérament bien trempé- avant de lire cet excellent article sur Lydie Salvayre dans « Le Matricule des Anges », où elle évoque la genèse du livre. Bourlingueur dès son plus jeune âge (Inde, Cachemire, Pakistan, Afghanistan, Liban...), BW a vécu des trucs incroyables. Et puis le monde de l’édition, sous toutes ses coutures. Je me suis rapidement retrouvé pris dans le récit, comme porté par l’histoire et je me suis dit Tu vas le lire d’une seule traite ( !). Et puis, finalement, j’ai décidé de m’y (re)plonger à doses homéopathiques, pour mieux m’en délecter. Ce bouquin a provoqué en moi toutes sortes de sensations : l’envie de (re)partir à la rencontre de l’autre, un florilège d’émotions, un brin de mélancolie, la nostalgie de l’ailleurs. « Le monde, contrairement à ce qu’on croit, s’est fermé, et ce n’est pas le moindre de ses paradoxes. Un voyage en Afghanistan, en Irak, et dans certaines régions de l’Inde, comme je le fis à 22 ans, serait aujourd’hui impossible. Les centres, du reste, se sont déplacés. En moi aussi. De plus, le monde, ce qu’autrefois on appelait le monde, ou l’ailleurs, ou l’inconnu, ou l’étrange, ce monde-là a disparu. Les confins s’offrent à qui veut sur la chaîne Voyage ».

Comme une évidence. « Tout ces renoncements lui sont pénibles. Extrêmement. D’autant que bat, intact, en lui, le désir de tout connaître de la terre, tout voir, tout sentir, tout parcourir, tout éprouver, désir dont il s ’étonne qu’il ne soit partagé par tous les hommes de la terre. Comment peuvent-ils être à ce point incurieux de leur monde ? BW devra donc mourir sans connaître sa planète en entier ? Il ne marchera donc pas sur les sommets des Andes où règnent les condors ? Il ne traversera pas les pôles ? Il ne descendra pas le Fou-ho sur une jonque ? Il ne pénétrera pas comme un aveugle dans la forêt d’Amazonie ? Zanzibar, Savannah, Cuzco, ne resteront que des noms froids inscrits sur des cartes géographiques ? Merde alors. C’est dur à avaler. Aujourd’hui encore, BW ne peut regarder le reportage télévisuel d’une ascension en montagne, d’un documentaire sur le Tibet, ou un film sur la Cappadoce, sans en frissonner d’émotion. Viens voir vite comme c’est beau. Si on y allait ? »

Il y a, immanquablement, l’écriture efficace de Lydie Salvayre qui porte le texte -l’histoire- et à laquelle on s’attache assez vite. On y trouve également quelques réflexions sur l’écriture, le monde de l’édition et plus généralement sur la littérature, son devenir. Alors, les coups de gueule de BW sur le sujet sont justifiés.

Quelques instantanés. « Nos vies sont ainsi faites que les livres, lorsqu’ils les affectent, ne les affectent que peu, happées qu’elles sont (nos vies) par mille choses hypnotiques qui nous prennent à leur piège ».

« (...) Le tout, fortement aggravé, poursuit BW, par mes accès mélancoliques, extrêmement rébarbatifs pour ceux qui n’ont avec moi qu’un rapport de surface, et affreusement pénibles, j’en suis persuadé, pour mes proches. Tu dis rien ? ».

« BW est grand pour les grandes choses mais fort démuni pour les petites, qui sont cependant celles qui composent notre vie de tous les jours. D’où le merdier ».

Le côté "électron libre un brin anar" : « Je considère, en outre, qu’adhérer est la principale vertu des mollusques ».

BW abhorre tout un tas de choses et ne s’en cache pas. Et c’est tant mieux.

Un seul petit regret : ne pas avoir pu voir et écouter L.S (malade) à Manosque. Pas à cause de ça j’espère : « BW et moi nous imbécillisons dès lors que nous sommes en public. Aussi, ceux-là qui, par ingénuité, ou par malice, ou par cynisme, ne s’en tiennent qu’aux apparences, nous prennent à bon droit pour ceux que nous semblons ».

Plongez-vous y corps et âme !

BW. Lydie Salvayre. Seuil. 17€.


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