
Instinctivement, quand on entre dans la Salle Labrouste, la grande salle de lecture de la BNF, rue Richelieu, on baisse la voix. Alain Fleischer, qui a conçu l’exposition actuelle, parle de basilique. Il a raison. Dans la pénombre ponctuée par les ronds de lumières douces diffusées par les lampe de lecture, quelques visiteurs vont et viennent, se penchent sur les tables, ouvrent l’une ou l’autre des étranges boîtes posées de place en place. Un bruissement de voix vous enveloppe. Dans chaque boîte, un écran qui se déplie quand on soulève le couvercle. Et sur chaque écran, un lecteur lit un extrait de livre, la caméra tourne autour de lui, filme le décor. Textes classiques, anciens, actuels. Lecteurs anonymes ou connus. On a droit à Frédéric Mitterrand lisant dans un salon de la Villa Médicis, la caméra s’échappe par les fenêtres vers le parc, la ville. Tous ne lisent pas bien, pour que l’on s’attarde il faut que le texte se prête à la lecture, que le lecteur soit bon, que le paysage s’accorde. Je n’ai pas tout regardé (il y en a 92 !). Je retiens la lecture de Plume, d’Henri Michaux, dans un paysage bucolique, avec poules et vaches, "On n’y voit rien" de Daniel Arasse, dans un appartement d’Ivry, un extrait du "Voyage…" étonnant où Bardamu donne sa propre définition de l’identité nationale française et se fait traiter d’anarchiste.
On se laisse prendre au jeu des lectures, au hasard ou en cherchant un texte. Vous pouvez voir quelques films sur le lien donné ci-dessus vers l’exposition virtuelle.
Il y avait peu de monde ce jour-là, des ombres circulaient ici et là comme des fantômes de bibliothèques. On se serait cru dans une métaphore de Borgès, atmosphère irréelle. Toutes les 20 minutes, les écrans s’éteignent, deux rideaux sont tirés et un film est projeté, tout le monde lève la tête. Comme à l’église quand tout le monde se lève, ou s’agenouille dans un même mouvement. J’ai vu, entre autres, la dernière scène de Farenheit 451 de Truffaut, que j’adore, celle où des dissidents du futur incarnent chacun un livre qu’ils passent leur temps à se répéter pour en garder la mémoire, et la première scène de Pierrot le fou où Belmondo lit dans sa baignoire à voix haute.
Si vous pouvez passer à Paris avant fin janvier, allez vivre cette étrange grand’messe spéciale lecteurs. On en sort totalement décalé mais ravi.