TRAFIC DE LECTURES

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Borderline.

jeudi 15 avril 2010, par Stéphane

« Le ciel gris humide couvrait le sud de l’Ohio comme la peau d’un cadavre. »

Visiblement, il est aussi difficile de prononcer le nom de ce bled que d’y vivre.

Ces nouvelles ne sont pas fondamentalement réjouissantes mais elles ont le mérite de plonger le lecteur au coeur de l’Amérique profonde -en l’occurrence l’Ohio- totalement foutraque, bancale, où le quotidien a tendance à sérieusement s’effriter. Ici, des existences dépenaillées, des "agités" en tous genres (du bocal, en particulier). C’est souvent écrit à la va-comme-je-te-parle, en usant du langage parfois graveleux de ces villes embourbées dans leur propre vomi, mais avec humanisme, drôlerie, humour grinçant, en évitant tout pathos inutile.

« Déjà en temps normal, parler au vieux c’était comme d’être enfermé dans l’ascenseur avec un cannibale qu’on n’aurait pas nourri depuis trois jours. »

On y croise, entre autres : des types qui prennent des amphètes en se bourrant la gueule (ce qui leur permet de garder un brin de lucidité pour rentrer chez eux en bagnole) ; des pères quasiment bons qu’à lever la main (et le coude) ; une mère qui a pour idole un tueur en série... Des gens normaux quoi !

Instantanés.

« Alors, quand le vieux a cisaillé les cheveux de Daniel avec un couteau à viande, celui que sa mère utilisait pour couper les tranches de mortadelle et gratter les joues de porc, il aurait aussi bien fait de lui couper la tête, tant qu’il y était. »

« Pressées sur la couche grise de crasse au fond de la baignoire, nos empreintes de godasses ressemblaient à ces pieds fossilisés pris dans la roche que mes cinglés de cousins disaient avoir été semés un peu partout par le diable pour faire croire aux gens qu’on descendait du singe et de la merde de grenouille. »

Donald Ray Pollock, 55 ans, a passé quelques trente-deux années à trimer dans une fabrique de pâte à papier. Il a arrêté de se défoncer à 33 ans pour intégrer la Ohio University et obtenir cinq ans plus tard une licence d’anglais. Un gars au parcours totalement atypique qui, au bout du compte, de part son écriture si singulière et son (évidente) aisance à raconter des histoires, transporte rapidement le lecteur dans ce coin paumé, et lui fait partager les satanées turpitudes de ces gens peu ordinaires.

« À la FAC, j’ai pas appris à écrire ni rien, mais j’ai au moins appris à lire. » D.R.P.

(Et merci encore à Philippe Garnier, sacré dénicheur, pour cette étonnante découverte.)

"Knockemstiff". Buchet-Chastel. 20€.


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