Bobigny réinvente L’Invention du Monde

Pour être honnête, on arrive avec quelques doutes : l’Invention du Monde au théâtre ? Cela ressemble à une gageure un peu folle. Comment donner une idée du roman, en trois petites heures au théâtre, de son rythme effréné, de sa richesse, de sa densité, de l’effet si particulier qu’il produit sur le lecteur, le plongeant tout cru dans un maelström de mots qui reste l’une des plus belles tentatives romanesques de cette éternelle tentation romanesque : mettre le monde en mots ?Une journée du moins.

Et puis.

Cela commence dans une salle de lecture qui évoque celle de la Bibliothèque Nationale, cela commence avec la voix de Denis Podalydès, prenante, avec des lecteurs qui lisent pendant qu’une belle gymnaste blonde s’échauffe sur la table, entre deux lampes de lecture en cuivre… Et le collage image/mots commence à fonctionner. Superposition du texte, de quelques histoires moissonnées ici et là, de scènes (pages de journaux qui volent, projections video, acrobates aériennes explorant l’espace) et de musique, celle, très belle, envoûtante, de Théo Akola, qui donne à tout le spectacle une tonalité de film à la Wim Wenders. Il y a les voix aussi, ces deux choeurs qui lisent, disent, mêlent leurs voix, se passent les mots, amplifient le texte. On se laisse promener au fil des trois heures, étonnés d’être ainsi portés par le texte, jusqu’au point d’orgue, quelques pages de la fin lues par la voix d’Olivier Rolin qui résonne longuement, fortement (comme celle du créateur lui-même ? Eh bien oui, tout romancier étant un démiurge). On ne peut s’empêcher d’imaginer ce que le metteur en scène aurait pu faire avec plus de moyens, plus de temps, mais tel quel le spectacle est déjà prenant. Reste à espérer qu’il soit repris et, qui sait, qu’il voyage au moins ailleurs en France.