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Pourquoi j’habite ?

L’absurde par Jauffret

lundi 25 avril 2011, par Brigitte

Publié le 23 mars 2011 par Régis Jauffret sur son site

Je me demande pourquoi j’habite. Maisons, appartements, chalets, cabanes, grottes. On habite toujours, on est jamais libre de ne pas habiter, même la rue certains l’habitent. J’habite trop bas ces temps-ci. Les plafonds, et ces fenêtres sur la rue deux mètres plus bas. Les passants qui montent me découvrent en avançant, ils me voient en train de regarder les dessins du tapis écroulé sur le canapé croulant, ils me suivent dans mes pérégrinations jusqu’à la bouilloire, le frigo. Quelquefois, ils me demandent l’heure ou un mouchoir pour essuyer leurs mains poisseuses de hamburger.
- Vous habitez ici depuis longtemps ?
- Vous êtes bien tranquille ici.
- Vous avez un travail ?
- C’est cher comme quartier ?
- Vous êtes locataire ou propriétaire ? Ils sautent assez haut pour voir le fond du couloir. Ils s’étonnent qu’il y ait tant de portes.
- Vous les ouvrez souvent ? Ils grimpent comme des ouistitis, escaladent la rambarde. Ils trouvent que le parquet grince.
- C’est du synthétique ou du bois massif ? Et puis, c’est l’inventaire.
- Vous n’avez qu’une poêle ?
- Votre congélateur est trop petit pour accueillir du gibier.
- Vous avez un drôle d’évier. Ils s’enfoncent dans le logis.
- Vos toilettes ne sont pas modernes. Aujourd’hui les cuvettes sont suspendues, de façon à permettre au balai de passer dessous.
- Votre salle de bains est encaissée. Nous préférons les salles d’eau. Une douche à l’italienne, c’est quand même plus gai que votre baignoire étriquée. Ils poussent du pied la porte de la chambre.
- Vous avez un trop grand lit, vous vous prenez pour qui ? Et ces préservatifs sur la table de nuit ? Et cette fenêtre idiote avec son rideau rouge comme un petit chapeau de crétin ?
- Vous ne manquez pas de chaussures, à quoi bon ? Nous portons quant à nous une paire de solides bottines à longueur d’année, et cela suffit à nos pieds qui ne sont certes pas aussi cérémonieux que les vôtres.
- Et cette pièce comme un placard ? Vous appelez ça un bureau ? Nous préférons encore n’en pas avoir, et ranger nos factures dans une valisette à cloisons cartonnées. Ils s’en vont par l’escalier, et je me demande encore pourquoi j’habite.

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