SAVANNAH

Avec Savannah, Jean Rolin nous invite une fois de plus à parcourir à pied, en Greyhound, en taxi, des lieux improbables du fin fond de l’Amérique. Avec la méticulosité descriptive qu’on lui connaît, mais poussée là à son paroxysme, il refait, après la mort de Kate Barry, le voyage de Savannah. Ce voyage, qu’ils avaient fait ensemble en 2007, à la recherche des lieux décrits par Flannery O’Connor et où elle vécut, Jean Rolin s’oblige à le revivre dans les moindres détails dont Kate avait filmé la vacuité et l’insignifiance, essayant de retrouver les motels où ils avaient séjourné, les gens qu’ils avaient rencontrés, chauffeurs de taxi ou vagabonds, refaisant en quelque sorte le film de ces presque rien que Kate avait saisis : leur reflet dans une flaque d’eau ou un miroir de motel, sa signature dans le livre d’or de la maison de Flannery O’Connor. En creux se lit le portrait intime et pudique d’un amour perdu, le mystère de sa mort, les deux-trois choses qui font un couple. Comme toujours, l’élégance de Jean Rolin tient au fait qu’il donne une identité à ses rencontres passagères qui nous deviennent ainsi familières, que toutes ces personnes qui n’ont en général dans les romans que la fonction négligeable de ramener au réel, deviennent les acteurs principaux d’un récit derrière lesquels s’efface le narrateur, ici pour mieux mettre en valeur la fragile personne de Kate. C’est le livre d’un film, d’une errance dans les ports ou les cimetières, les parkings de supermarché, ce n’est pas un livre de deuil, "cela ne regarde que nous" écrit-il, comme pour se dédouaner de ne pas nous faire pleurer. C’est un très beau livre.