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"...l’ontologique imbécillité du monde."

"Socrate dans la nuit" de Patrick Declerck

lundi 26 mai 2008, par Stéphane


Comment régler ses comptes de façon lucide (et plus ou moins élégante) avec ce tas de petites choses qui irritent, lorsque l’on se sent désespéré, au bout du rouleau, atteint d’une maladie (quasi) irréversible, dans un style au couteau où le verbe est rugueux. « Un hypocondriaque est quelqu’un qui, un jour ou l’autre, finit toujours par avoir raison. Je suis un hypocondriaque comblé ».

Van Zandt/Declerck provoque, teste notre résistance à l’âpreté du récit, un récit sans équivoque. Le personnage peut franchement devenir assez antipathique au bout de quelques pages tant il a parfois la (fâcheuse ?) tendance à "vomir" sur tout ce qui bouge, à égratigner, en faisant notamment preuve d’une sombre misogynie. « ...le désespoir est une forme supérieure de la critique ».

Pourtant, ce roman est quand même profondément métaphysique, traitant en particulier de la difficulté de vivre et de cette étrange chose qui nous attend tous au coin du tournant : la mort. Pour cela, Van Zandt va chercher le soutien de Socrate, lui-même proche de la fin, s’appuie sur son épaule, et nous fait part de ses raisonnements philosophiques. « L’optimisme, cette indigente illusion du lendemain, n’étant jamais appelé en renfort de la vérité que lorsque celle-ci devient insoutenable ».

Il a une fille, à laquelle il tente de se confier. Une compagne, Anne (car à quoi bon se marier) qui : « ...dit que de toute façon, pour moi, les autres ne sont jamais que des zéros, des crétins, des microbes étalés sur une plaque de verre que, de temps en temps, je daigne regarder au microscope ».

L’Amérique non plus n’est pas épargnée : « ...les USA, c’est qu’un grand trou. Un terrain vague immense, parsemé, ça et là, de supermarchés et de lotissements de voitures d’occasion entourés de petits drapeaux colorés qui flottent au vent pour rien, et annoncent des réjouissances fabuleuses qui ne viennent jamais. L’Amérique est un gigantesque ennui. Une solitude pas racontable et nue,qui s’étire sans ombre et sans fin, sous la lumière violente et crue des néons du non-sens. L’Amérique, c’est rien que le néant habillé de polyester... »

Le livre est aussi une sorte de réquisitoire contre la bêtise ambiante qui nous entoure, nous encercle quelquefois, traduite par quelques passages corrosifs. « Et pendant une heure, j’ai zappé la télé, cet égout auquel, avec ravissement et d’horribles glouglous, vient en se bousculant s’abreuver le peuple aux odeurs âcres...Je fais ça parfois au milieu de la journée, quand ma rage s’épuise...Un peu de télé pour me fouetter la désespérance ». Contre ce quotidien qui nous pèse : « Bien sûr, on ne s’en va pas comme ça. Il y a toujours la Société, cette merde molle, cette vérolée maquerelle... »

Pourquoi se raconter des salades à soi-même ? « Il est une politesse supérieure à partir odieux. À se faire regretter le moins possible ».

Devant la mort qui guette, inévitablement les questions affluent, les bilans s’imposent.

Patrick Declerck est anthropologue et psychanalyste, notamment auteur d’un ouvrage bouleversant, « Les Naufragés », dans lequel l’auteur retrace son parcours durant plus de quinze ans parmi les clochards de Paris. (Terre Humaine poche)


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