De Matteo Garrone. (d’après le roman-enquête éponyme de Roberto Saviano)
lundi 25 août 2008, par Stéphane
Ce que Matteo Garrone nous donne à voir, ce sont des personnages ancrés dans un déterminisme sans la moindre porte de sortie (si ce n’est celle de la mort), perdus au fond d’une impasse : celle de la Camorra.
Il nous montre la perversion et l’absurdité d’un système dénué de toute humanité, qui n’engendre que la misère sociale, et dans lequel les individus, des ˝sans-grade˝ (certains se disent « sécessionnistes »), errent par moments comme de vulgaires zombies. Drogue, corruption, soumission, exécutions et trahisons rythment leur sombre quotidien.
Pourtant, les images sont incroyablement belles. Garrone nous les délivre, au travers de courts plans fixes et de plans séquences tout en fluidité et subtilité, et nous tient en haleine durant les 2h15 que dure le film en évitant toute longueur rébarbative. Économie de dialogues, musique quasi inexistante : Garrone laisse le spectateur porté par sa propre respiration.
Difficile de ne pas faire référence à la pensée de Hobbes : « À l’état de nature, l’Homme est un loup pour l’Homme » . Ici, elle tend à prendre sa pleine mesure. Dans ce monde-là, il n’y à de place pour aucun compromis : tous évoluent dans ce cercle vicieux au sein duquel les rapports humains sont ontologiquement viciés.
Il y a donc plusieurs tableaux, plusieurs protagonistes évoluant dans des lieux différents, qui ne verront jamais que l’ombre d’une quelconque existence. Certains noircissent leur quotidien dans une étrange souricière (Toto), d’autres -deux jeunes fougueux totalement inconscients- jonglent avec leur existence, au mépris des ˝règles˝. On y croise aussi le sort peu enviable d’ouvriers chinois (par l’intermédiaire de Pasquale), dans le domaine de la confection, preuve s’il en est de l’étendue des ramifications du réseau. Mais il en est qui ne désirent que la fuite (Robé), qui ont pris conscience de l’irréversibilité du ˝système˝.
Et puis « Gomorra » est aussi une métaphore sur les effets pervers de la mondialisation, les dégâts qu’elle engendre, tant d’un point de vue humain que d’un point de vue écologique.
Garrone, en s’éloignant des clichés et autres poncifs sur le même thème, se pose en digne héritier de maîtres tels que Rossellini, Antonioni ou Rosi, pour des raisons d’ordre politique, mais aussi esthétiques.
En résumé : époustouflant.