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Bob est parti

lundi 12 octobre 2009


Voir en ligne : Lire le bel hommage de François Bon sur Tiers-Livre

Un petit mot pour marquer la disparition de Gérard Bobillier, le 6 octobre, celui que l’on croisait dans les phrases de Michon sous le nom de "Bob". Fondateur des éditions Verdier. Soleil, engagement, amitiés, exigence, voilà ce que ce nom m’évoque. Honneur à toi, Gérard Bobillier. Quelques photos prises par Brigitte aux rencontres de Chaminadour 2007…

G.Bobillier et Pierre Michon lors du défilé du Bœuf Gras…

Bobillier, Jean-Baptiste Harang et Catherine

Bobillier honoré

2 Messages de forum

  • Bob est parti

    13 octobre 2009 21:05
    A écouter aussi, les mots de Pierre Michon pour son éditeur, dans l’émission "Tout arrive" sur F.Culture, le 6 octobre, ou en lien sur le site de Verdier
    • Bob est parti 4 novembre 2009 14:17

      Un article de Pierre Bergounioux, paru dans Libération du lundi 2 novembre

      C’est en 1978 que je situerais le retournement de la conjoncture politique, la défaite de ce qu’on appelait, depuis la fin de la guerre, « les forces de progrès ». La classique triade des pays socialistes, des mouvements de libération nationale et des partis révolutionnaires européens donne des signes d’usure, d’égarement dont l’adversaire, qui n’a jamais désarmé, va tirer avantage. C’est alors que se dessine la contre-offensive libérale qui va tout balayer, gagner le monde. Le socialisme réel se désintègre. Les mouvements de libération amorcent leur dérive confessionnelle et les partis communistes s’effacent de la scène où ils tenaient, depuis un demi-siècle, le premier rôle.

      C’est en 1979 que Gérard Bobillier fonde les éditions Verdier avec Colette Olive, Michèle Planel et le volontarisme hérité de l’ultra-gauche où ils ont activement milité. L’entreprise n’est pas moins hasardeuse que celle à laquelle ils ont sacrifié pendant leurs jeunes années et dont le cours des choses a sanctionné l’irréalisme. Quoi ! Créer une structure éditoriale à partir de rien, sans antécédents ni soutien, sur la seule foi de ce que, le socialisme à la chinoise excepté, il n’y a guère, dans cette vie, que la littérature à quoi il vaille la peine de se consacrer ? C’est pourtant sur ces prémices qu’ils se lancent, avec la belle candeur, encore, de la trentaine, un souffle resté des Trente Glorieuses à peine achevées, aussi, dans une histoire qui aurait dû trouver bientôt le même triste épilogue que l’aventure gauchiste d’après 1968.

      La rigueur doctrinale est une chose, autre chose le marché du livre, le goût socialement dominant et la demande solvable, la froide réalité d’un compte d’exploitation. Mais contre toutes attente et vraisemblance, il arrive, parfois, que la composante subjective, la conviction, l’obstination résistent aux facteurs objectifs, qu’un pari chimérique prenne corps, entre dans les faits. C’est ce qui s’est produit.

      Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, c’est une idée ancienne, passée, peut-être dépassée que Gérard Bobillier se faisait de la littérature. Il s’est pris d’enthousiasme pour les plus contestables décisions du Parti communiste chinois, Grand Bond en avant, Révolution culturelle. Mais son maoïsme n’est pas tout. Il est français, aussi, et la France ce pays où la littérature, selon l’essayiste allemand Robert Curtius, a été élevée au rang d’une religion. Il a fait, comme la plupart d’entre nous, cette expérience rituelle de découvrir, un jour, aux pages d’un livre, l’explicitation renversante de ce que nos vies enferment d’obscur, de douloureux, et rien, après ça, ne sera plus pareil. Nous ferons à la littérature une place importante dans notre existence si, même, elle ne l’occupe pas en totalité.

      La suite en découle. Nos trois jouvenceaux se mêlent de publier des textes. Ils prennent, dirait-on, un malin plaisir à retenir les plus abrupts, les plus fermés à l’air du temps, les moins vendables.

      Les éditions Verdier résultent de la rencontre, dont l’incongruité vaut celle de la machine à coudre et du parapluie, entre le goût littéraire national et les foucades internationalistes de la jeunesse française de l’après-guerre. On a l’amour du beau texte hérité de l’aristocratie d’Ancien Régime et de la bourgeoisie des deux derniers siècles. Mais on importe dans l’univers éditorial, qui est menacé, du fait de sa nature même, par la logique marchande, l’intransigeance héroïque des organisations politiques combattantes. Et comme il se trouve, dans la société des écrivains, des extrémistes pareillement soucieux de pureté formelle, c’est tout naturellement qu’ils arrivent chez Verdier. Faut-il rappeler que François Bon a milité au Parti communiste français et que Pierre Michon se dit toujours d’extrême gauche ?

      Bref, au prix de continuelles incertitudes, de craintes profondes dont on ne fait jamais état ou alors d’un ton léger, presque badin, le trio de Lagrasse [dans l’Aude, ndlr] réussit l’impossible, qui est de durer sans jamais déroger au principe des fondations. Avec un courage copié de la paysannerie chinoise ou tiré de son ascendance jurassienne de forestiers, Gérard Bobillier parvient à donner aux éditions Verdier l’assise ferme qu’elles ont fini par trouver. Quels dieux jaloux la vertu des hommes offusque-t-elle ? Quand il était pour goûter un peu de répit, la satisfaction du devoir accompli, un mal insidieux l’atteint et l’emporte. Il n’a pas eu son jour. C’est le meilleur de ce que nous avons eu, le souci de l’humanité, la générosité, l’amour des choses de l’esprit, notre jeunesse qui s’en sont allés, avec Gérard Bobillier.


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