L’ Afrique désenchantée
Le roi de Kahel, de Tierno Monénembo et Equatoria, de Patrick Deville
lundi 13 avril 2009, par Brigitte
Qu’est ce qui différencie ces deux livres, lus coup sur coup, l’un écrit par un africain, l’autre par un européen ? C’est la question que je me posais en peinant un peu dans la moiteur d’Equatoria : je ne sais pas si on écrit avec la couleur de sa peau, mais j’ai pu vérifier qu’on lisait avec la couleur de sa peau, et c’est une découverte dont je ne suis pas particulièrement fière. Oui, il m’a fallu du temps pour admettre cette évidence que je me représentais en blanc tous ces africains. A postériori, mon regard a changé.
Voilà, j’ai commencé par Le Roi de Kahel (prix Renaudot 2008), histoire romancée d’Olivier de Sanderval, aventurier de la fin du 19ième, qui voulait être plus peul que les peuls et surtout construire un chemin de fer qui relie le Fouta Djalon à la côte ; enfin, je crois parce que je n’avais pas de carte sous les yeux. Qu’importe, puisque de toute façon, ce sont ses périples qui sont racontés, sa lutte pour faire reconnaître par la France précoloniale, l’intérêt de s’implanter dans ces zones inconnues, ces grands trous blancs sur les cartes comme dit Deville, et d’y rayonner "pacifiquement", c’est à dire économiquement, pour faire la nique aux anglais qui veulent étendre leur empire. C’est un livre plaisant à lire, mais sans plus. On ne s’y ennuie pas, les peuls sont roublards, beaux, leurs femmes surtout, on les regarde vivre à travers les yeux de ce marseillais pugnace qui veut marcher sur les pas de René Caillé, on souffre avec lui de toutes sortes de fièvres et de dysenteries, et on se dit qu’ils étaient vraiment fous, ces premiers routards qui traversaient l’Afrique d’Ouest en Est, fous de vouloir se tailler des royaumes à la seule force de leurs convictions. C’est un roman d’histoire et d’aventures sérieux, mais qui ne me laissera pas grand souvenir, je crois.
Avec Equatoria, Patrick Deville nous balade et se balade rien moins que dans l’Afrique Equatoriale, sur les traces de Pierre Savorgnan de Brazza. Là aussi, il fait chaud, (heureusement il trouve toujours un peu de vin blanc), les maladies sont omniprésentes, les anglais itou, mais il y a entre nous et le héros, un troisième homme, l’auteur, qui nous entraîne d’un siècle à l’autre, nous raconte l’histoire de la traite des noirs ou du trafic de jerrycans d’essence entre Kinshasa et Brazzaville, jerrycans portés par des "kadhafis". On y croise tout ce que l’Afrique compte de crapules au pouvoir, on se réjouit de l’intelligence visionnaire du Che Guevarra prédisant que Laurent Désiré Kabila ne serait pas un vrai révolutionnaire, on s’emmêle encore une fois les pinceaux dans ces conflits incessants, on se dit qu’on est aussi nulle en histoire qu’en géographie, et que les romanciers qui passent leur vie à se balader pendant que d’autres turbinent, ça commence à bien faire. On prend quand même le temps de s’asseoir avec l’auteur à une terrasse et de regarder s’écouler le fleuve Congo ; puis on embraque dans des guimbardes rafistolées, quelques escales en avion et nous voilà dans la douceur de Zanzibar. On perd souvent de vue Brazza, on se noie dans les multiples et pas toujours très explicites références de ce livre, mais au final on a fait plus ample connaissance avec Deville et ce n’est pas si mal.
Mon avis, le Roi de Kahel n’est peut être pas à la hauteur d’un prix Renaudot, et Equatoria est trop complexe pour un prix Inter....
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Messages de forum
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14 avril 2009 09:59, par (Un trafiquant du sud)
Quelle verve !!!
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"Il est nécessaire d’avoir un sérieux révolutionnaire, une idéologie qui guide l’action, un esprit de sacrifice qui guide ses actes. Jusqu’à maintenant Kabila a démontré ne rien posséder de cela. Il est jeune et il est possible qu’il change, mais j’ose laisser par écrit, alors que ces pages seront rendues publiques dans très longtemps, mes plus grands doutes quant à sa capacité à surmonter ses défauts dans le milieu où il évolue" in Passages de la guerre révolutionnaire (Congo), by Le Che (1965 ou 66) , cité par P. Deville