CLAUSTRIA de Régis JAUFFRET
Car "Asile de fous" existait déjà
samedi 18 février 2012, par Brigitte
J’ai hésité à vous faire part de mes sentiments tout de suite après cette lecture intense ; quelques semaines plus tard, sortie de la cave, j’y vois plus clair, je respire un peu mieux.
Certains se souviennent sans doute de l’invective de cette lectrice à Manosque : "Vous n’êtes pas porteur, Monsieur Jauffret". Je pense que cette dame avait tout à fait raison : ce livre n’est porteur que de mauvaises nouvelles pour le genre humain. Car dans son genre, bien souvent masculin, l’Homme que Jauffret nous dépeint est vraiment une ordure. Alors on serait tenté toutes les vingt pages de dire à Jauffret qu’il y va un peu fort, qu’on ne croit pas une minute à l’histoire abracadabrante qu’il déroule, qu’il a trop abusé de substances toxiques qui lui montent au ciboulot, ravivent sa perversité inconsciente. Et puis, l’air de rien, quand ça devient encore plus sordide que là où on a laissé la lecture en plan la veille au soir parce que trop c’est trop, Jauffret nous balance une pichenette, quelques mots, un détail, à peine une phrase qui tienne debout, sauf qu’il s’agit de vraies phrases, prononcées lors du procès de Fritzl, de détails physiques que Jauffret a notés lors de sa visite de la maison de l’horreur, de témoignages.
Et là, la réalité nous revient en pleine figure : cette histoire a bien existé, de 1984 à 2008, en Europe, dans une ville ordinaire, dont la vie de tous les jours ressemble à la nôtre : pique-nique dans le jardin, jeux dans la piscine, programmes télé, vacances, courses au supermarché, tondeuse à gazon, voisins, au mieux récalcitrants , sourds au pire. Une famille de taupes vivait près de nous et nous ne le savions pas : cette famille avait des règles, apparemment les mêmes que les nôtres, un papa, une maman, des enfants, une télé, des guirlandes et des cadeaux de Noël. Au dessus vivait une autre famille : un père, ingénieur, une mère au foyer, une demeurée, des enfants attardés, déposés cycliquement et comme par miracle au seuil de la maison. On se pince, et pourtant c’est écrit : alors il faut croire Jauffret, il n’a rien inventé.
Tout le monde connaît l’histoire de cet inceste dont il n’y a pas raison de taire l’issue : il n’y a aucun suspense, on sait d’avance combien d’enfants naîtront dans cette cave, mais je crois qu’il est difficile de se représenter le sadisme, la douleur infligée, la violence mais aussi les "petits bonheurs" de cette vie souterraine ; la faim, le froid, l’affection, l’amour, l’espoir et son contraire, la merde, la mort, l’ordre des lieux, le désordre des êtres. Tout y est, même le plaisir,
masculin et féminin.
L’Homme, décliné au genre féminin, n’a rien, dans ce livre, à envier à son avatar masculin : la femme y bouscule notre raison, je serais tentée de dire que le corps féminin a des raisons que la raison n’a pas. La femme est originairement l’instigatrice de toute cette folie que paieront, au prix fort de leur vie, les générations de femmes qui lui succéderont. On voit bien, si on le savait déjà, que les femmes, par leur silence, sont alors les meilleures alliées de la violence de l’homme et celle qui tentera de rompre cette logique infernale sera condamnée au cachot. Tout cela s’est passé près de chez nous, pendant 24 ans, et il faut remercier Jauffret d’avoir traité, sans aucune complaisance, la complicité de la mère au même titre que la barbarie du père, ce qui ne fut pas, je crois, le cas pour le justice autrichienne. Cette histoire est troublante, ambigüe, écœurante, mais il fallait la raconter.
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Message
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19 février 2012 10:30, par Stéphane
Bon, vu comme ça, je pige mieux ton étrange mutisme...
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