L’ amant des morts
de Mathieu RIBOULET
dimanche 30 novembre 2008, par Brigitte
Stéphane en avait parlé, mais je ne retrouve pas son article.
Comme tous les livres publiés par les éditions Verdier, celui-ci place très haut l’exigence de la langue.
J’ai envie de me hasarder à dire que Mathieu Riboulet est en écriture, le fils spirituel de Pierre Michon et de Pierre Bergounioux. Peut-être parce qu’il y est question de père...mais là, j’avance déjà en terrain mouvant. Disons qu’il pourrait être leur neveu, puisque on y voit des tantes jumelles. Mais c’est encore équivoque. Sachez donc qu’il y est aussi question de la Creuse et de sa dureté, ça plante le décor, tout part de là pour lui aussi ; les racines de l’ambiguïté entre le "bien et le mal" tirent, encore une fois, leur force de cette terre âpre.
Il n’y a pas de temps de répit pour le lecteur, qui se trouve enchaîné au texte dès la première phrase : "Le père, de temps à autre, couchait avec le fils. La mère ne voyait pas." Ne pensez pas trop vite que la victime est toute désignée, car un paragraphe plus loin, on devine que le livre ne va pas laisser au repos notre morale : " Le fils, de temps à autre, couchait avec le père. La mère ne voyait rien." On ne flotte pas sur ce livre, on ne peut pas le lire du coin de l’oeil, mais on ne doit pas y penser non plus. Prendre seulement ce qui est écrit, dit magistralement, se laisser fourailler par la langue, par le "stylo" de Mathieu Riboulet et se laisser aller au déhanchement du jeune Jérôme.
Il y est abordé sans aucune pudeur, -non, c’est faux, avec beaucoup de pudeur-, (vous voyez, je ne sais pas), les "années Sida", la mort des maris, des fils, des frères, des amis et des amants, ce ravage qui nous a tous et toutes touchées, ces vies arrêtées à vingt, trente ans, de trop de sexe, d’une liberté durement acquise après le passage de l’étoile rose. Ce n’est bien sûr pas un livre militant, ce n’est bien sûr pas un livre sur les "homos", c’est un livre qui vient se jouer de la part la plus obscure de chacun, la plus belle aussi quand elle est mise à nu, la force irrépressible du désir.
"Quelque chose était passé par là, qui n’était pas le temps".
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Messages de forum
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J’en ai parlé dans un échange de mails. Effectivement, les deux premières phrases des deux premiers paragraphes pourraient en rebuter plus d’un, empêcher d’aller plus loin. Pourtant, on est pris de plein fouet par l’écriture -lumineuse- et on ose accompagner, côtoyer Jérôme, être bouleversé. Mathieu Riboulet déroule de très belles phrases, précises, aiguisées.
"(...) Pas beaucoup d’amour, là-dedans, mais c’est aussi cela l’amour : le manque, l’absence, ce qu’on ne découvre parfois jamais".
À lire d’urgence.
stef
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8 décembre 2008 20:54, par Jean-françois
Comme Brigitte et Stéphane, ce livre m’a pris à la gorge dès la première phrase.Ce texte sombre dans une écriture rugueuse taillée dans le granit creusois évoque surtout le deuil et l’abandon ;ceux des rapports filiaux,de la fin des idéaux de la jeunesse,ceux des corps libérés de toute containte morale.Je crois ce livre impudique mais sans voyeurisme.Il aborde en creux les années sida ou l’on découvre la vie à travers la déchéance aboutie des corps.J’ ai laissé de côte ma morale chrétienne pour me concentrer et me laisser emporter par ces pages sans concessions pour le lecteur.Un bon livre doit déranger...ALLEZ-Y