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Comme un conte.

vendredi 26 mars 2010, par Stéphane

« Le train roulait dans une steppe immense, comme on tire sur une fermeture Éclair. »

Suffit donc d’y monter, de tomber sur le bon wagon, de pénétrer dans le bon compartiment et le tour est joué (une fois les pages du livre ouvertes !). Là, un homme émerge, quelque peu hirsute et incrédule.

« Je me réveillai à l’odeur du raki. Des poulpes engourdis et mal disposés se pressaient en moi, une multitude d’affluents déversaient leur vacuité dans les dernières bribes de sens. »

("Tol" signifie "vengeance" en kurde.)

C’est dans ce "lieu" en mouvement (d’Istanbul à Diyarbakir) que se tisse le fil de l’histoire de ce roman découpé en trois parties, notamment grâce aux feuilles de papiers que Şair (le poète, un temps exilé) distribue parcimonieusement à Yusuf, son compagnon (camarade) de voyage, entre deux rakis et quelques böreks. Ces textes, comme des récits (entre)mêlés (présent, passé...), vont permettre à Yusuf d’apprendre, entre autres, à mieux se connaître, de prendre pleinement conscience de ce passé de luttes -clandestines-. Par l’entremise de ces feuillets qui représentent (en partie) le journal d’Oguz (dont je ne révélerai pas l’identité), dans lequel il est question de... révolution, de désillusions... où des voix résonnent (d’outre-tombe parfois). Trois destins, donc.

Tout cela peut paraître un brin énigmatique, mais le charme ne tarde pas à s’opérer, et l’on prend rapidement du plaisir, tout en se faisant bousculer, chahuter, dès les toutes premières pages.

Tout au long du trajet, ils mangent, boivent (beaucoup), fument, s’enivrent... Pendant que la révolte est en marche, quelque part...

Une sorte d’épopée poético-lyrique (politique), pleine de rebondissements, de fulgurances, pour laquelle Murat Uyurkulak sollicite tous nos sens, parfois de manière impérieuse. Les mots, quelquefois brûlants, parviennent à fusionner, dans cette langue quasi sismique, où le verbe grouille, s’agite.

Une part d’autobiographie, inévitablement. Des filiations : Hikmet,...

Extraits.

« Toute vie n’a pas la beauté qui lui convient. »

« Dans notre rue étroite, nous déclamons des vers à en faire trembler les vitres, les hommes parlent comme des livres, les femmes sont belles comme dans les contes, leurs bouches sont superbes. »

« J’ai en moi comme un corps étranger, un feu, une malédiction que je n’arrive pas à extirper. J’ai très mal à la tête, au coeur, aux yeux... Tout ce que j’ai su, ce que j’ai appris, ce que j’ai vécu s’efface peu à peu de mon esprit... Mes nuits sont un supplice... Je suis poursuivi par des cauchemars... J’ai de sombres pressentiments dont le sens m’échappe... J’ai l’impression d’être hors du temps, que le temps va me vomir, rassembler tous les mots, en faire une boule et me cracher... Une ombre... »

« Maintenant, écoute ça. Il y a quelques jours, j’ai lu un livre, l’auteur dit que le mur est tombé et que nous vivons dans un autre monde. On fabrique des robots et bientôt il n’y aura plus de classe ouvrière... Tu te rends compte, quelle ineptie... »

Murat Uyurkulak : une prose incisive, éclairée, qui brille de mille feux.

Petit aparté. Je sais pas pourquoi, effet boomerang peut-être, mais voilà : « C’est l’heure des brasiers. Il ne faut en voir que la lumière. » José Marti (cité dans « Le soi-disant », d’Yves Pagès)

(Souligner au passage l’engagement des éditeurs, turc d’abord, puis français ensuite.)

TOL (2002). Galaade.

[P-S : faut croire que les vagabondages ferroviaires sont propices au développement des souvenirs (cf. Mathias Énard, par exemple).]


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