mardi 24 janvier 2012, par Stéphane
« Je sais seulement que ça me coûte de dormir, de pratiquer cette gymnastique pour remplir chaque nuit le vide qui me traverse jusqu’au bout des ongles, le vide, autour, et le vide du monde. »
Ce roman de Campos de Carvalho, auteur brésilien (1961) est, notamment, une sorte de réquisitoire contre l’absurdité des conflits qui souillent les âmes des hommes et les plongent dans un chaos intérieur dont ils ne parviennent que rarement à s’extirper. Mais aussi une réflexion sur le fonctionnement de ce monde qui nous est (parfois) étranger.
« Le type avait ses lumières, il buvait comme moi pour essayer de les éteindre. »
Paragraphes sur le « front », au verbe haletant. Fatalement, des images de Paths of Glory (Les sentiers de la Gloire) de Kubrick me reviennent à la figure. Effet boomerang. Télescopage entre littérature et cinéma.
Une écriture percutante qui n’est pas sans rappeler Artaud par moments - voire Céline comme le précise l’éditeur. Au fil des toutes premières pages, on prend conscience qu’on ne va pas le lâcher facilement ce livre, comme acculés à cette écriture, à la fascinante logorrhée du narrateur.
« On dirait bien que j’ai vomi mon âme ; j’espère. Comment un être humain peut-il se sentir à ce point désemparé ? Le plancher n’est plus plancher, le lit vous est une attelle qui flotte dans l’air ; une nausée en forme de nuage pénètre tout ; si on m’étouffait, ce serait charité pure ; il est possible que l’expulsion de l’âme permette à l’air de circuler plus librement, en amples inspirations, comme ça ! »
Des pages à la verve féroce, acerbe, aussi finement aiguisées que la lame d’un couteau. Mais la poésie est malgré tout au rendez-vous car que faire/devenir sans poésie ?!
« [...] vous avez juste perdu la mémoire, avait dit le médecin, c’est presque une consolation, dans le monde où l’on vit. Au moment de philosopher, tous philosophent à l’envi ; la vérité c’est qu’on nous laisse parfaitement seuls avec cette solitude nocturne, utérine, seul comme un pauvre foetus. »
Au bout de cette (très) dense centaine de pages, l’envie d’aller se prendre une bonne bouffée d’air frais (pas plus mal avec du soleil).
PS : une fois de plus attiré par le titre sur la tranche du bouquin, bien m’en a pris, je pense. Faut dire que Laure Limongi est quand même particulièrement douée pour dénicher des auteurs aussi incroyables les uns que les autres. Pourvu que le travail d’éditeur ne disparaisse pas (avec le livre) !!!
La vache au nez subtil. Campos de Carvalho. Laureli/Léo Scheer. 16€.