TRAFIC DE LECTURES

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Close to the edge.

mardi 8 novembre 2011, par Stéphane


« Y a rien de plus beau que la volonté de vivre lorsqu’on baigne dans le désespoir absolu. L’espoir, c’est pour les connards. Il n’y a que les grandes âmes pour comprendre la beauté du désespoir. »

T-Bird Murphy (sorte d’alter ego de l’auteur qui doit son prénom... à une bagnole) a fait un tas de boulots aussi peu reluisants les uns que les autres. Mais des boulots quand même. Comme celui de chauffeur de camion-poubelle par exemple, qui lui permet de déverser le "jus" des déchets sur le tarmac des quartiers bourges. T-Bird dort où il peut : dans son camion, dans un break retapé par lui-même quelque temps squatté par des blacks qui deviendront ses potes, dans un garage aux effluves nocives et nauséabondes... Se démène pour exister au coeur de cet espèce de ghetto où tentent de cohabiter blacks et chicanos, notamment. Dans ce bras d’Amérique fracturé où le rêve n’existe pas.

« Là d’où je viens, on n’a pas besoin d’assurance, parce qu’on touche constamment le fond. »

Lui qui se retrouve régulièrement dans un rade poisseux -chez Dick- pour boire des coups avec ses potes freaks, tous largués par leurs femmes, parties avec des avocats, les laissant sans rien (ou presque). Des types genre Barfly (cf. le film de Barbet Schroeder, inspiré de Bukowski, avec M. Rourke et F. Dunaway, remarquables).

« Dick, le bar-restau, c’est le vortex de la tristesse du monde, au point que c’en est parfois presque insupportable. »

Un beau-père qui l’aime comme son fils (les deux "frangins", eux, sont morts dans des circonstances un brin glauques), et une mère absente, perturbée par des alters déglingués.

Un club de jazz, Archibald, réservé aux nègres, dans lequel il se rend clandestinement, lui qui joue de la trompette occasionnellement, sa véritable passion en fait.

« Ces types jouaient comme s’ils étaient possédés par les anges du Bien et du Mal, au bord de la mort, une musique qui les escortait bien au-delà, dans une autre vie, et cette musique allait plus loin que tout ce que les dieux pouvaient offrir, les dieux eux-mêmes en tremblaient de trouille, ils se ratatinaient de faiblesse, soumis par les hurlements de la terre et des hommes et du jazz qui condense les deux. »

Il y a chez Eric Miles Williamson -professeur de littérature à l’université- du Fante, du Bukowski et pourquoi pas du Céline. Flirte aussi avec les poètes beat : Kerouac, Ginsberg, Burroughs et compagnie. Son écriture, c’est pas de la rigolade : on se fait secouer comme il faut, on est parfois au bord de la rupture mais on s’accroche, comme lui.

Williamson nous prouve aussi que la poésie peut naître des entrailles remplies de méthane d’une immense décharge à ciel ouvert, qui s’illumine sous la flamme d’un Zippo.

Et puis, comme le disait Artaud : « Là où ça sent la merde, ça sent l’être. »

Vécu cette histoire, baignée d’envolées lyriques salvatrices, comme une véritable expérience, comme une bonne tarte en travers de la gueule.

Bon, chacun pourra se faire sa propre opinion mais cette littérature a le mérite d’exister, et je pense même qu’elle est bien plus importante, d’ailleurs, que cette ribambelle de trucs à l’eau de rose pondus par quantité de gens se prétendant "écrivains" et pourquoi pas "auteurs", incapables de tremper leur plume ailleurs que dans du mauvais jus de guimauve périmé (voilà, c’est dit).

Bienvenue à Oakland. Fayard. 22€.

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